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L’ANTÉCHRIST


c’est par cette hérédité seule qu’agit la nature. Toute l’humanité, même les meilleurs cerveaux des meilleures époques — (un seul excepté qui peut-être n’était qu’un monstre) — s’est laissé tromper. On a lu l’Évangile comme le livre de l’innocence : pas le moindre signe qui indique avec quelle maîtrise la comédie a été jouée. Pourtant, si nous les voyions, ne fût-ce qu’en passant, tous ces singuliers cagots, ces saints artificiels, c’en serait fait d’eux, — et puisque je ne lis pas un mot sans voir des attitudes, pour moi c’en est fait d’eux… Ils ont une certaine façon de lever les yeux que je ne puis supporter. — Heureusement que, pour la plupart des gens, les livres ne sont que de la littérature. Il ne faut pas se laisser éconduire : « Ne jugez point ! » disent-ils, mais ils envoient en enfer tout ce qui se trouve sur leur chemin. En laissant juger Dieu, ils jugent eux-mêmes ; en glorifiant Dieu, ils se glorifient eux-mêmes ; en exigeant la vertu dont ils sont capables — plus encore, celle dont ils ont besoin pour se maintenir, — ils se donnent la grande apparence de lutter pour la vertu, l’apparence d’un combat pour le règne de la vertu. « Nous vivons, nous mourons, nous nous sacrifions pour le bien », (la « vérité », la « lumière », le « royaume de Dieu ») : en réalité ils font ce qu’ils ne peuvent s’empêcher de faire. En faisant les humbles, comme des sournois, assis dans leurs coins, vivant dans l’ombre comme des ombres, ils s’en font un devoir : l’humilité de vie leur apparaît comme un devoir, elle est une preuve de plus de leur piété. Ah ! cette sorte de mensonge humble, chaste, apitoyé ! « La vertu