entraîne une conclusion semblable. Un peuple qui
a encore foi en lui-même possède aussi un Dieu qui
lui est propre. Il vénère en ce Dieu les conditions
qui le rendent victorieux, ses vertus, il projette
la sensation de plaisir qu’il se cause à
lui-même, le sentiment de puissance dans un être
qu’il peut en remercier. Celui qui est riche, veut
donner ; un peuple fier a besoin d’un Dieu, à qui
sacrifier… La religion, dans ces conditions, est une
forme de la reconnaissance. On est reconnaissant
envers soi-même : voilà pourquoi il faut un Dieu.
Un tel Dieu doit pouvoir servir et nuire, doit être
ami et ennemi, on l’admire en bien comme en mal.
La castration anti-naturelle d’un Dieu, pour en faire
un Dieu du bien seulement, se trouverait en dehors
de tout ce que l’on désire. On a besoin du Dieu
méchant autant que du Dieu bon. On ne doit pas
précisément sa propre existence à la tolérance, à la
philanthropie… Qu’importerait un Dieu qui ne
connaîtrait ni la colère, ni la vengeance, ni l’envie,
ni la moquerie, ni la ruse, ni la violence, qui
ignorerait peut-être même les radieuses ardeurs de la
victoire et de l’anéantissement ? On ne comprendrait
pas un Dieu pareil, pourquoi l’aurait-on ? Sans
doute, quand un peuple périt, quand il sent
disparaître définitivement sa foi en l’avenir, son espoir
en la liberté, quand la soumission lui paraît être de
première nécessité, quand les vertus de la
soumission entrent dans sa conscience, comme une
condition de la conservation, alors il faut aussi que son
Dieu se transforme. Il devient maintenant cagot,
craintif, humble, il conseille « la paix de l’âme »,
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L’ANTÉCHRIST