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LE CRÉPUSCULE DES IDOLES

mesurer les temps d’après leurs forces positives — et, ce faisant, cette époque de la Renaissance, si prodigue et si riche en fatalité, apparaît comme la dernière grande époque, et nous, nous autres hommes modernes, avec notre anxieuse prévoyance personnelle et notre amour du prochain, avec nos vertus de travail, de simplicité, d’équité et d’exactitude — notre esprit collectionneur, économique et machinal, — nous vivons dans une époque de faiblesse. Cette faiblesse produit et exige nos vertus… L’« égalité », une certaine assimilation effective qui ne fait que s’exprimer dans la théorie des « droits égaux », appartient essentiellement à une civilisation descendante : l’abîme entre homme et homme, entre une classe et une autre, la multiplicité des types, la volonté d’être soi, de se distinguer, ce que j’appelle le pathos des distances est le propre de toutes les époques fortes. L’expansivité, la tension entre les extrêmes est chaque jour plus petite, — les extrêmes même s’effacent jusqu’à l’analogie… Toutes nos théories politiques, et les constitutions de nos États, sans en excepter « l’Empire allemand », sont des conséquences, des nécessités logiques de la dégénérescence ; l’action inconsciente de la décadence s’est mise à dominer jusque dans l’idéal de certaines sciences particulières. Contre toute la sociologie de l’Angleterre et de la France je fais la même objection, elle ne connaît par expérience que les produits de décomposition de la société, et elle prend, tout à fait innocemment d’ailleurs, ses propres instincts de décomposition comme norme des jugements sociologiques. La vie en déclin, la diminution de