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que je veuille le moins du monde faire le régal des autres musiciens. Les autres musiciens n’entrent pas en ligne de compte en face de Wagner. Tout va mal. La décadence est universelle. La maladie a des racines profondes. Si le nom de Wagner exprime la ruine de la musique, comme celui de Bernini la ruine de la sculpture, ce n’est pas à vrai dire la faute de Wagner. Il n’a fait qu’accélérer le mouvement, — mais d’une telle manière à la vérité, que l’on assiste avec effroi à cet écroulement, à ce cataclysme. Il a la naïveté de la décadence : ce fut sa supériorité. Il crut en elle, jamais il ne s’arrêta devant la logique de la décadence. Les autres hésitent — voilà la différence. Pas autre chose !… Ce qu’il y a de commun entre Wagner et « les autres » — je l’énumère : chute de la faculté de composition ; abus des moyens traditionnels, sans en pouvoir justifier la fin ; le faux monnayage employé pour l’imitation des grands modèles, que personne n’est aujourd’hui assez fort, assez fier, assez sûr de soi, assez sain pour atteindre ; la vie refoulée dans les détails ; la passion à tout prix ; le raffinement