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LE CAS WAGNER

Quelle est la première et la dernière exigence d’un philosophe vis-à-vis de lui-même ? — Elle consiste à vaincre son temps, à se mettre « en dehors du temps. » Envers qui devra-t-il donc soutenir le plus rude combat ? Envers celui, dans lequel il se reconnaît justement lui-même comme l’Enfant du siècle. Or ça ! je suis, aussi bien que Wagner, l’Enfant du siècle, c’est-à-dire un décadent : avec cette différence, que je m’en aperçois et que je me mets en état de défense. Le philosophe en moi résiste au danger que je cours.

Ce qui m’a le plus profondément occupé, c’est en réalité le Problème de la Décadence, — j’ai eu mes raisons pour cela. La question du « Bien » et du « Mal » n’est en réalité qu’une variété du problème. S’est on composé une vue d’ensemble sur les symptômes de la Décadence, on comprend aussi l’essence de la Morale, — on comprend ce qui se cache sous ses termes les plus sacrés et sous ses formules les plus vénérables : la Vitalité appauvrie, la Volonté de Périr, la Grande Lassitude. La Morale n’est qu’une négation de la Vie… Pour accomplir une semblable tâche, une di—