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l’histoire de la morale : forcément, ils aboutiront à des résultats qui n’ont avec la vérité que des rapports excessivement lointains. Ces généalogistes de la morale se sont-ils seulement douté, même en rêve, que, par exemple, le concept moral essentiel « faute »[1] tire son origine de l’idée toute matérielle de « dette » ? ou bien que le châtiment, en tant que représaille, s’est développé indépendamment de toute hypothèse au sujet du libre arbitre ou de la contrainte ? — au point qu’il faut toujours d’abord un haut degré d’humanisation pour que l’animal « homme » commence à établir la distinction entre les notions beaucoup plus primitives, telles que « à dessein », « par négligence », « par hasard », « capable de discernement », et leurs contraires, pour les mettre en rapport avec la sévérité du châtiment. Cette idée, aujourd’hui si générale et en apparence si naturelle, si inévitable, cette idée qu’on a dû mettre en avant pour expliquer comment le sentiment de justice s’est formé sur terre, je veux dire l’idée que « le criminel mérite le châtiment parce qu’il aurait pu agir autrement », est en réalité une forme très tardive et même raffinée du jugement et

  1. Nietzsche se sert du mot schuld, qui signifie à la fois faute (culpabilité) et dette (obligation). Voir plus loin § 20. — N. d. T.