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se rendra compte des difficultés qu’il y a sur la terre pour élever un « peuple de penseurs » (je veux dire : le peuple de l’Europe où l’on trouve aujourd’hui encore le maximum de confiance, de gravité, de mauvais goût et de sens des réalités, du peuple qui, par ces qualités-là, s’est assuré le droit de faire l’éducation de toute espèce de mandarinat en Europe). Ces Allemands ont eu recours aux moyens les plus atroces pour se faire une mémoire qui les rendît maîtres de leurs instincts fondamentaux, ces instincts qui étaient populaciers et d’une lourde brutalité : que l’on se rappelle les anciens châtiments en Allemagne, entre autres la lapidation (— déjà la légende faisait tomber la meule sur la tête du coupable), la roue (cette invention toute spéciale du génie germanique dans le domaine du châtiment ! ), le supplice du pal, l’écrasement sous les pieds des chevaux (l’écartèlement), l’emploi de l’huile ou du vin où l’on faisait bouillir le condamné (encore au quatorzième et au quinzième siècle) et toutes les différentes variétés de tortures (le supplice des « lanières », l’écorchement de la poitrine) ; quelquefois on enduisait aussi le malfaiteur de miel et, sous un soleil ardent, on le laissait exposé aux piqûres des mouches. Grâce à de pareils spectacles, de pareils