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jamais entendu un pareil langage ? À n’en croire que leurs paroles, vous seriez-vous douté que vous vous trouviez au milieu de tous ces hommes du ressentiment ?…

— « Je vous entends et j’ouvre de nouveau les oreilles (hélas ! trois fois hélas ! et me voilà derechef obligé de me boucher le nez !) Ce n’est qu’à présent que je saisis ce qu’ils ont répété tant de fois : « Nous autres bons — nous sommes les justes » — ce qu’ils demandent, ils ne l’appellent pas représailles, mais bien « le triomphe de la justice » ; ce qu’ils haïssent, ce n’est pas leur ennemi, non ! ils haïssent l’« injustice », l’« impiété » ; ils croient et espèrent, non pas en la vengeance, en l’ivresse de la douce vengeance (— « plus douce que le miel », disait déjà Homère), mais bien « en la victoire de Dieu, du Dieu de justice sur les impies » ; ce qu’il leur reste à aimer sur terre, ce ne sont pas leurs frères dans la haine, mais, à ce qu’ils disent, « leurs frères en amour », tous les bons et les justes de la terre. »

— Et comment appellent-ils ce qui leur sert de fiche de consolation dans toutes les peines de l’existence — leur fantasmagorie et leur anticipation de la béatitude à venir ?

— « Comment ? Est-ce que j’ai bien entendu ? Ils