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ô protectrices divines ! — accordez-moi un regard, que je puisse jeter sur quelque être absolument complet, réussi jusqu’au bout, heureux, puissant, triomphant, de la part de qui il y ait encore quelque chose à craindre ! Un regard sur un homme qui justifie l’homme, sur un coup de bonheur qui apporte à l’homme son complément et son salut, grâce auquel on pourrait garder sa foi en l’homme !… Car voici ce qui en est : le rapetissement et le nivellement de l’homme européen cachent notre plus grand danger, ce spectacle rend l’âme lasse… Nous ne voyons aujourd’hui rien qui permette de devenir plus grand, nous pressentons que tout va en s’abaissant, pour se réduire de plus en plus, à quelque chose de plus mince, de plus inoffensif, de plus prudent, de plus médiocre, de plus indifférent encore, jusqu’au superlatif des chinoiseries et des vertus chrétiennes, — l’homme, n’en doutons pas, devient toujours « meilleur »… Oui, le destin fatal de l’Europe est là — ayant cessé de craindre l’homme, nous avons aussi cessé de l’aimer, de le vénérer, d’espérer en lui, de vouloir avec lui. L’aspect de l’homme nous lasse aujourd’hui. — Qu’est-ce que le nihilisme, si ce n’est cette lassitude-là ?… Nous sommes fatigués de l’homme