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le regard venimeux du ressentiment. Il est ici un point que nous serons les derniers à vouloir contester : celui qui n’a connu ces « bons » que comme ennemis n’a certainement connu que des ennemis méchants, car ces mêmes hommes qui, inter pares, sont si sévèrement tenus dans les bornes par les coutumes, la vénération, l’usage, la gratitude et plus encore par la surveillance mutuelle et la jalousie — et qui, d’autre part, dans leurs relations entre eux se montrent si ingénieux pour tout ce qui concerne les égards, l’empire sur soi-même, la délicatesse, la fidélité, l’orgueil et l’amitié, — ces mêmes hommes, lorsqu’ils sont hors de leur cercle, là où commencent les étrangers (« l’étranger »), ne valent pas beaucoup mieux que des fauves déchaînés. Alors ils jouissent pleinement de l’affranchissement de toute contrainte sociale, ils se dédommagent dans les contrées incultes de la tension que fait subir toute longue réclusion, tout emprisonnement dans la paix de la communauté, ils retournent à la simplicité de conscience du fauve, ils redeviennent des monstres triomphants, qui sortent peut-être d’une ignoble série de meurtres, d’incendies, de viols, d’exécutions avec autant d’orgueil et de sérénité d’âme que s’il ne s’agissait que d’une escapade