Page:Nietzsche - La Généalogie de la morale.djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.

en leur qualité d’hommes complets, débordants de vigueur et, par conséquent, nécessairement actifs, ils ne savaient pas séparer le bonheur de l’action, — chez eux, l’activité était nécessairement mise au compte du bonheur (de là l’origine de l’expression εὐ πράττειν). — Tout cela est en contradiction profonde avec le « bonheur » tel que l’imaginent les impuissants, les opprimés, accablés sous le poids de leurs sentiments hostiles et venimeux, chez qui le bonheur apparaît surtout sous forme de stupéfiant, d’assoupissement, de repos, de paix, de « sabbat », de relâchement pour l’esprit et le corps, bref sous sa forme passive. Tandis que l’homme vit plein de confiance et de franchise envers lui-même (γενναῖος, « né noble », souligne la nuance de « franchise » et peut-être celle de « naïveté »), l’homme du ressentiment n’est ni franc, ni naïf, ni loyal envers lui-même. Son âme louche, son esprit aime les recoins, les faux-fuyants et les portes dérobées, tout ce qui se dérobe le charme, c’est là qu’il retrouve son monde, sa sécurité, son délassement ; il s’entend à garder le silence, à ne pas oublier, à attendre, à se rapetisser provisoirement, à s’humilier. Une telle race composée d’hommes du ressentiment finira nécessairement par être plus prudente