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vue les nuances presque bienveillantes dont l’aristocratie grecque, par exemple, pare tous les mots qui lui servent à établir la distinction entre elle et le bas peuple ; il s’y mêle constamment le miel d’une sorte de pitié, d’égard, d’indulgence, au point que presque tous les mots qui désignent l’homme du commun ont fini par devenir synonymes de « malheureux », « digne de pitié » (comparez : δειλός, δείλαιος, πονηρός, μοχθηρός, ces deux derniers voulant caractériser l’homme du commun en tant qu’esclave de son labeur et bête de somme). — Il faut songer d’autre part que les termes « mauvais », « bas », « malheureux » produisaient toujours sur l’oreille grecque une tonalité où dominait la nuance « malheureux » ; tout cela n’est que l’héritage du vieux système d’évaluation aristocratique plus distingué, qui ne se démentit même pas dans l’art de mépriser (— rappelons aux philologues le sens où sont employés les mots : οἰζυρός, ἄνολβος, τλήμων, δυστυχεῖν, ξυμφορά). Les « hommes de haute naissance » avaient le sentiment d’être les « heureux » ; ils n’avaient pas besoin de construire artificiellement leur bonheur en se comparant à leurs ennemis, en s’en imposant à eux-mêmes (comme font tous les hommes du ressentiment) ; et de même