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plus profonde, plus intime, plus empoisonnée, plus meurtrière : elle fit voir toute souffrance comme le châtiment d’une faute… Mais malgré tout — elle apporta à l’homme le salut, l’homme avait un sens, il n’était plus désormais la feuille chassée par le vent, le jouet du hasard inintelligent, du « non-sens », il pouvait vouloir désormais quelque chose, — qu’importait d’abord ce qu’il voulait, pourquoi, comment plutôt telle chose qu’une autre : la volonté elle-même était du moins sauvée. Impossible d’ailleurs de se dissimuler la nature et le sens de la volonté à qui l’idéal ascétique avait donné une direction : cette haine de ce qui est humain, et plus encore de ce qui est « animal », et plus encore de ce qui est « matière » ; cette horreur des sens, de la raison même ; cette crainte du bonheur et de la beauté ; ce désir de fuir tout ce qui est apparence, changement, devenir, mort, effort, désir même — tout cela signifie, osons le comprendre, une volonté d’anéantissement, une hostilité à la vie, un refus d’admettre les conditions fondamentales de la vie ; mais c’est du moins, et cela demeure toujours, une volonté !… Et pour répéter encore en terminant ce que je disais au début : l’homme préfère encore avoir la volonté du néant que de ne point vouloir du tout…