que quelque chose manquait, qu’une immense lacune environnait l’homme, — il ne savait pas se justifier soi-même, s’interpréter, s’affirmer, il souffrait devant le problème du sens de la vie. Il souffrait d’ailleurs de bien des manières, il était avant tout un animal maladif : mais son problème n’était pas la souffrance en elle-même, c’était qu’il n’avait pas de réponse à cette question angoissée : « Pourquoi souffrir ? » L’homme, le plus vaillant, le plus apte à la souffrance de tous les animaux, ne rejette pas la souffrance en soi : il la cherche même, pourvu qu’on lui montre la raison d’être, le pourquoi de cette souffrance. Le non-sens de la douleur, et non la douleur elle-même est la malédiction qui a jusqu’à présent pesé sur l’humanité, — or, l’idéal ascétique lui donnait un sens ! C’était jusqu’à présent le seul sens qu’on lui eût donné ; n’importe quel sens vaut mieux que pas de sens du tout ; l’idéal ascétique n’était à tous les points de vue que le « faute de mieux » par excellence, l’unique pis-aller qu’il y eût. Grâce à lui la souffrance se trouvait expliquée ; le vide immense semblait comblé, la porte se fermait devant toute espèce de nihilisme, de désir d’anéantissement. L’interprétation que l’on donnait à la vie amenait indéniablement une souffrance nouvelle,
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