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cette volonté de puissance : la formation de troupeaux est, dans la lutte avec la dépression, un important progrès, une victoire. L’accroissement de la communauté fortifie également chez l’individu un intérêt nouveau qui l’arrache souvent à son chagrin personnel, à son aversion contre sa propre personne (la « despectio sui » de Geulinx). Tous les malades, tous les maladifs aspirent instinctivement, poussés par le désir de secouer leur sourd malaise et leur sentiment de faiblesse, à une organisation en troupeau : le prêtre ascétique devine cet instinct et l’encourage ; partout où il y a des troupeaux c’est l’instinct de faiblesse qui les a voulus, l’habileté de prêtre qui les a organisés. Car il ne faut pas s’y tromper : les forts aspirent à se séparer, comme les faibles à s’unir, c’est là une nécessité naturelle ; si les premiers se réunissent, c’est en vue d’une action agressive commune, pour la satisfaction commune de leur volonté de puissance, à laquelle action leur conscience individuelle répugne beaucoup ; les derniers au contraire se mettent en rangs serrés par le plaisir qu’ils éprouvent à ce groupement ; — par là leur instinct est satisfait, tout comme celui des « maîtres » de naissance (c’est-à-dire de l’espèce homme, animal de proie et solitaire) est