Page:Nietzsche - La Généalogie de la morale.djvu/226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

général toutes les grandes religions ont eu pour objet principal de combattre une pesante lassitude devenue épidémique. On peut tout d’abord présumer que, de temps à autre, à certains points du globe, un sentiment de dépression, d’origine physiologique, doit nécessairement se rendre maître des masses profondes, sentiment qui toutefois, faute de connaissances physiologiques, ne reconnaît pas sa vraie nature, de sorte qu’on ne saurait en trouver la cause et le remède que dans la psychologie morale (— ceci est ma formule générale pour ce qu’on appelle communément « religion »). Un tel sentiment de dépression peut être d’origine extrêmement multiple : il peut naître d’un croisement de races trop hétérogènes (ou de classes — les classes indiquant toujours des différences de naissance et de race : le spleen européen, le « pessimisme » du dix-neuvième siècle sont essentiellement la conséquence d’un mélange de castes et de rangs, mélange qui s’est opéré avec une rapidité folle) ; il peut provenir encore des suites d’une émigration malheureuse — une race s’étant fourvoyée dans un climat pour lequel son adaptabilité ne suffisait pas (le cas des Indiens aux Indes) ; ou bien il peut être l’effet tardif de la vieillesse et de l’épuisement de la race (le pessimisme