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sité d’avoir des médecins et des gardes-malades qui soient eux-mêmes des malades : et maintenant nous tenons, nous saisissons des deux mains le sens du prêtre ascétique. Le prêtre ascétique doit être pour nous le sauveur prédestiné, le pasteur et le défenseur du troupeau malade : c’est ainsi seulement que nous pourrons comprendre sa prodigieuse mission historique. La domination sur ceux qui souffrent, voilà le rôle auquel le destine son instinct, il y trouve son art spécial, sa maîtrise, sa catégorie de bonheur. Il faut qu’il soit malade lui-même, il faut qu’il soit intimement affilié aux malades, aux déshérités pour pouvoir les entendre, — pour pouvoir s’entendre avec eux ; mais il faut aussi qu’il soit fort, plus maître de lui-même que des autres, inébranlable surtout dans sa volonté de puissance, afin de posséder la confiance des malades et d’en être craint, afin d’être pour eux un soutien, un rempart, une contrainte, un instructeur, un tyran, un Dieu. Il a à défendre son troupeau — contre qui ? Contre les bien portants assurément, mais aussi contre l’envie qu’inspirent les bien portants ; il doit être l’ennemi naturel et le contempteur de toute santé et de toute puissance, de tout ce qui est rude, sauvage, effréné, dur, violent, à la façon des bêtes de proie. Le prêtre