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fonde tristesse ? ce regard rentré des mal venus dès l’origine qui nous révèle le langage qu’un tel homme se tient à lui-même, — ce regard qui est un soupir. « Ah ! si je pouvais être quelqu’un d’autre, n’importe qui ! ainsi soupire ce regard : mais il n’y a pas d’espoir. Je suis celui que je suis : comment saurais-je me débarrasser de moi-même ? Et pourtant — je suis las de moi-même !… » C’est sur ce terrain de mépris de soi, terrain marécageux s’il en fut, que pousse cette mauvaise herbe, cette plante vénéneuse, toute petite, cachée, fourbe et doucereuse. Ici fourmillent les vers de la haine et du ressentiment ; l’air est imprégné de senteurs secrètes et inavouables ; ici se nouent sans relâche les fils d’une conjuration maligne, — la conjuration des souffre-douleur contre les robustes et les triomphants, ici l’aspect même du triomphateur est abhorré. Et que de mensonges pour ne pas avouer cette haine en tant que haine ! Quelle dépense de grands mots et d’attitudes, quel art dans la calomnie « loyale » ! Ces malvenus : quel torrent de noble éloquence découle de leurs lèvres ! Quelle soumission douce, mielleuse, pâteuse dans leurs yeux vitreux ! Que veulent-ils enfin ? Représenter tout au moins la justice, l’amour, la sagesse, la supériorité, — telle