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revue, les uns après les autres, les instincts et les vertus du philosophe — son instinct de doute, son instinct de négation, son instinct expectatif, son instinct analytique, son instinct aventureux de recherche et d’expérience, son besoin de comparaison et de compensation, son désir de neutralité et d’objectivité, son désir de tout « sine ira et studio » — : a-t-on déjà compris que, pendant très longtemps, tout cela allait à l’encontre de toutes les exigences de la morale et de la conscience ? (pour ne point parler de la raison que Luther encore aimait à appeler « Fraw Klüglin — dame Raison — la rusée catin ») qu’un philosophe qui serait parvenu à la conscience de soi aurait dû aussitôt se sentir le « nitimur invetitum » incarné, et qu’en conséquence il se gardait bien de « se sentir », d’avoir conscience de soi ?… Il n’en est pas autrement, je le répète, de toutes les choses bonnes dont nous sommes fiers aujourd’hui ; même en appréciant toute notre façon d’être moderne, avec les mesures des anciens Grecs, si elle n’est pas faiblesse, mais puissance, elle apparaît comme quelque chose d’hybride et d’impie : car ce sont précisément les choses opposées à celles que nous honorons aujourd’hui qui ont eu pendant longtemps la conscience de leur