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de reste pour cela (— eux, les philosophes, ont à agir pour la vérité). Ils se montrent économes des grands mots ; on dit que même le mot de « vérité » leur déplaît : il leur paraît ampoulé… Pour ce qui en est enfin de la « chasteté » des philosophes, il est évident que la fécondité de ce genre d’esprits se manifeste autrement que par la progéniture ; autrement peut-être aussi la continuation de leur nom après leur mort, leur petite immortalité (dans l’Inde ancienne, entre philosophes, on s’exprimait avec moins de modestie encore : « à quoi bon des descendants pour celui dont l’âme est le monde ? »). Il n’y a là rien qui ressemble à de la chasteté par scrupule ascétique ou haine des sens, pas plus qu’il n’y a chasteté quand un athlète ou un jockey s’abstient des femmes ; c’est ainsi que le veut, du moins pour l’époque de la grande incubation, leur instinct dominant. Tout artiste sait combien est nuisible, aux jours de grande tension de l’esprit et de préoccupation intellectuelle, le commerce avec la femme ; pour les plus puissants et les plus instinctifs parmi eux, l’expérience, la dure expérience, n’est pas nécessaire, — c’est l’instinct « maternel » qui dispose ici, au profit de l’œuvre en formation, de toutes les autres provisions, de tous les afflux de