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moins ce « spectateur » avait été suffisamment connu des philosophes du beau ! — s’il avait été chez eux un grand fait personnel, une expérience, le résultat d’une foule d’épreuves originales et solides, de désirs, de surprises, de ravissement sur le domaine du beau ! Mais ce fut toujours, je le crains bien, tout le contraire : en sorte que, dès le principe, ils nous donnent des définitions, où il y a, comme dans cette célèbre définition du beau que donne Kant, un manque de subtile expérience personnelle qui ressemble beaucoup au gros ver de l’erreur fondamentale. « Le beau, dit Kant, c’est ce qui plaît sans que l’intérêt s’en mêle. » Sans intérêt ! À cette définition comparez cette autre qui vient d’un vrai « spectateur » et d’un artiste, Stendhal, qui appelle une fois la beauté une promesse de bonheur. En tous les cas nous trouvons récusé et éliminé ici ce que Kant fait ressortir particulièrement dans l’état esthétique : le désintéressement. Qui est-ce qui a raison ? Kant ou Stendhal ? Il est vrai que si nos esthéticiens jettent sans cesse dans la balance, en faveur de Kant, l’affirmation que, sous le charme de la beauté, on peut regarder « d’une façon désintéressée », même une statue féminine sans voile, il nous sera bien permis de