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devront enfin, grâce à l’imagination de la terreur grandissante, prendre des formes monstrueuses et se perdre dans le lointain ténébreux de l’étrange et de l’indéfinissable : — l’ancêtre fatalement devait enfin prendre la figure d’un dieu. Peut-être faut-il même rechercher ici toute l’origine des dieux, une origine qui remonte à la crainte !… Et celui qui trouverait nécessaire d’ajouter : « mais aussi à la piété ! » pourrait difficilement soutenir sa thèse pour cette période de la race humaine qui fut la plus longue, la période préhistorique. Mais sans doute, avec d’autant plus de facilité, pour la période intermédiaire au cours de laquelle les races nobles se sont formées, — ces races ont en effet rendu avec usure à leurs auteurs, à leurs ancêtres (héros et dieux) toutes les qualités que le temps avait fait éclore en elles, les qualités nobles. Nous jetterons plus tard encore un coup d’œil sur l’anoblissement et l’exaltation des dieux (qu’il ne faut surtout pas confondre avec leur sanctification) : pour le moment bornons-nous à suivre jusqu’au bout le développement de cette conscience de la dette.