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devait tomber sous l’influence de cette transformation, la plus radicale qu’il ait jamais subie, — de cette transformation qui se produisit lorsqu’il se trouva définitivement enchaîné dans le carcan de la société et de la paix. Tels des animaux aquatiques contraints de s’adapter à la vie terrestre ou à périr, ces demi-animaux si bien accoutumés à la vie sauvage, à la guerre, aux courses vagabondes et aux aventures, — virent soudain tous leurs instincts avilis et « rendus inutiles ». On les forçait, dès lors, d’aller sur leurs pieds et à « se porter eux-mêmes », alors que jusqu’à présent l’eau les avait portés : un poids énorme les écrasait. Ils se sentaient inaptes aux fonctions les plus simples ; dans ce monde nouveau et inconnu ils n’avaient pas leurs guides d’autrefois, ces instincts régulateurs, inconsciemment infaillibles, — ils en étaient réduits à penser, à déduire, à calculer, à combiner des causes et des effets, les malheureux ! ils en étaient réduits à leur « conscience », à leur organe le plus faible et le plus maladroit ! Je crois que jamais sur terre il n’y eut pareil sentiment de détresse, jamais malaise aussi pesant ! — Ajoutez à cela que les anciens instincts n’avaient pas renoncé d’un seul coup à leurs exigences ! Mais il était difficile et souvent impossible de les satisfaire : ils furent en