Page:Nietzsche - La Généalogie de la morale.djvu/105

Cette page a été validée par deux contributeurs.

organisés, il a remarqué qu’ils se tenaient parfaitement. (La courbe de l’aptitude à la douleur chez l’homme semble en effet s’abaisser extraordinairement et tomber tout à coup, dès que l’on a dépassé les premiers dix mille ou dix millions de notre hypercivilisation ; pour ma part je ne doute pas qu’au prix d’une unique nuit de souffrance d’une seule de nos femmelettes minées par la culture et l’hystérie, les douleurs de toutes les bêtes dont jusqu’à présent on a interrogé les chairs palpitantes dans le but scientifique, ne soient qu’une quantité négligeable.) Peut-être est-il même permis d’admettre la possibilité que la délectation que procure la cruauté n’ait pas vraiment disparu : il lui faudrait seulement de la subtilité à proportion du mal plus grand que cause la douleur ; elle devrait surtout s’avancer sous les couleurs de l’imagination et de l’âme, parée de noms si rassurants que la conscience la plus délicate et la plus hypocrite n’en pût concevoir de l’ombrage (la « compassion tragique » est un de ces noms ; « les nostalgies de la croix » en sont un autre). Ce qui révolte à vrai dire contre la douleur ce n’est pas la douleur en soi, mais le non-sens de la douleur ; pourtant, ni pour le chrétien qui avait fait entrer dans la douleur tout un mécanisme