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qu’il me semble, à la délicatesse, ou plutôt à la tartuferie d’animaux domestiqués (lisez : les hommes modernes, lisez : nous-mêmes) de se représenter, avec toute l’énergie voulue, jusqu’à quel point la cruauté était la réjouissance préférée de l’humanité primitive et entrait comme ingrédient dans presque tous ses plaisirs ; combien naïf, d’autre part, combien innocent apparaît son besoin de cruauté, combien justement la « méchanceté désintéressée » (ou pour employer l’expression de Spinoza, la sympathia malevolens) apparaît chez elle, par principe, comme un attribut normal de l’homme — : donc comme quelque chose à quoi la conscience puisse hardiment répondre « oui ». Un œil pénétrant reconnaîtrait peut-être encore aujourd’hui chez l’homme des traces de cette joie de fête, primordiale et innée chez lui ; dans Par delà le bien et le mal, aph. 188 (et déjà avant cela dans Aurore, aph. 18, 77, 113), j’ai indiqué d’une façon circonspecte la spiritualisation et la « déification » toujours croissantes de la cruauté, dont on retrouve des traces dans toute l’histoire de la culture supérieure (on pourrait même dire, d’une façon générale, que toute culture supérieure en est faite). En tous les cas, il n’y a pas si longtemps encore, on n’aurait pu s’ima-