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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

l’individuation et de vouloir être lui-même l’unique essence de l’univers, il fait sien le conflit primordial caché dans les choses, c’est-à-dire il devient criminel et souffre. Et ainsi l’aryen symbolise le crime par un homme et le sémite personnifie le péché par une femme ; de même aussi le crime originel fut consommé par un homme et le péché originel fut commis par une femme. D’ailleurs le chœur des sorcières chante[1] :

Nous n’y regardons pas de si près :
À la femme, il faut mille pas pour l’accomplir ;
Mais si vite qu’elle se puisse dépêcher,
À l’homme il suffit d’un saut.

Celui qui comprend ce sens profond de la légende de Prométhée — c’est-à-dire la nécessité du crime imposée à l’individu qui veut s’élever jusqu’au Titan — doit ressentir en même temps combien cette conception pessimiste est anti-apollinienne ; car Apollon veut apaiser les individualités précisément en les séparant, en traçant entre elles des lignes de démarcation dont il fait les lois du monde les plus sacrées, en exigeant la connaissance de soi-même et la mesure. Mais pour que cette influence apollinienne n’immobilisât pas la forme en une rigidité et une froideur égyptiennes, afin que la préoccupation d’assigner aux vagues individuelles leur route et leur carrière ne finît pas par anéantir

  1. Goethe, Faust, I. au début de la nuit de Walpurgis. — H. A.