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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

tain point le giron maternel de tout le soi-disant dialogue, c’est-à-dire du monde scénique tout entier, du véritable drame. De la succession de plusieurs manifestations expansives de cette espèce, rayonne cette cause primordiale de la tragédie, cette vision du drame, qui est tout entière une apparition perçue dans le rêve et, en tant que telle, de nature épique, mais qui, d’autre part, comme objectivation d’un état dionysiaque, représente non pas la libération apollinienne dans l’apparence, mais au contraire la destruction de l’individu et son identification avec l’Être-primordial. Ainsi le drame est la représentation apollinienne de notions et d’influences dionysiennes, et ceci, comme un abîme insondable, le sépare de l’épopée.

Le chœur de la tragédie grecque, le symbole de toute foule exaltée par l’ivresse dionysiaque, se trouve alors clairement expliqué. Accoutumés au rôle habituel d’un chœur sur la scène moderne, surtout d’un chœur d’opéra, il nous était impossible de comprendre comment ce chœur tragique des Grecs pouvait être plus ancien, plus originel, oui, plus essentiel que la véritable « action » — ainsi que la tradition nous l’enseignait cependant avec une telle netteté. Nous ne savions non plus comment concilier cette haute importance et cette nature primordiale témoignées par la tradition, avec ce fait que, pourtant, le chœur était exclusivement composé de créatures humbles et serves et, à l’ori-