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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

2.

Ce qu’il me fut alors donné de concevoir, quelque chose de terrible et de périlleux, un problème aux cornes menaçantes, pas absolument un taureau sauvage, en tout cas un problème nouveau, je dirais aujourd’hui que ce fut le problème de la science elle-même — de la science considérée pour la première fois comme problématique, discutable. Mais le livre où j’épanchai alors la défiance et la fougue de ma jeunesse, — quel livre impossible dut naître d’une tâche aussi anti-juvénile ! — construit seulement à l’aide de sensations personnelles précoces et hâtives, effleurant l’extrême limite de ce qui peut s’exprimer, appuyé par ses fondations sur le terrain de l’art, — car le problème de la science ne peut être résolu sur le terrain de la science ; — un livre s’adressant peut-être à des artistes possédant par surcroît des aptitudes spéciales pour l’analyse et la comparaison (c’est-à-dire à une espèce exceptionnelle d’artistes, qu’il faut chercher et qu’on ne voudrait même pas chercher…), bourré d’innovations psychologiques et de mystérieux secrets d’artiste, avec, au fond du tableau, une métaphysique d’artiste ; une œuvre de jeunesse, pleine d’ardeur et de mélancolie juvéniles, indépendante, obstinément intransigeante, même si elle semble céder à une autorité ou à une déférence particulière, en un mot une œuvre de début, voire dans le sens