et l’a peuplé d’entités naturelles imaginaires. C’est sur ces fondations que s’est élevée la tragédie, et, justement à cause de cette origine, elle fut, dès le début, affranchie d’une servile imitation de la réalité. Cependant, il ne s’agit aucunement ici d’un monde de fantaisie flottant arbitrairement entre le ciel et la terre, mais bien plutôt d’un monde doué d’une réalité et d’une vraisemblance égales à celles que l’Olympe et ses habitants possédaient aux yeux des Hellènes croyants. Le satyre, en tant que choreute dionysien, vit dans une réalité religieuse reconnue sous la sanction du mythe et du culte. Qu’avec lui commence la tragédie, que la sagesse dionysienne de la tragédie parle par sa bouche, c’est là pour nous un phénomène aussi étrange que, d’ailleurs, l’origine de la tragédie dans le chœur. Nous trouverons peut-être une base et un point de départ pour nos recherches futures, en admettant que le satyre, cette entité naturelle imaginaire, est à l’homme civilisé ce que la musique dionysienne est à la civilisation. Richard Wagner dit de cette dernière que ses effets sont abolis par la musique comme la clarté produite par la lueur d’une lampe est annihilée par la lumière du jour. Je crois que l’homme civilisé grec se sentait ainsi annihilé en présence du chœur des satyres, et c’est l’effet le plus immédiat de la tragédie dionysienne que les institutions politiques et la société, en un mot les abîmes qui séparent les hommes les uns des
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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE