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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

d’une chose de la notion de son apparence ; car, d’après son essence, il est impossible à la musique d’être Volonté, parce que, en tant que Volonté, elle devrait être absolument bannie du domaine de l’art, — la Volonté est l’inesthétique en soi ; — mais, elle apparaît comme Volonté. En effet, pour exprimer son apparence par des images, le poète lyrique met à contribution tous les mouvements de la passion, depuis le balbutiement de l’inclination naissante jusqu’à l’emportement du délire ; sous l’influence de l’irrésistible impulsion qui le porte à traduire la musique en symboles apolliniens, il ne conçoit toute la nature, et soi-même en elle, que comme l’éternel vouloir, l’éternelle appétence, l’insatiable désir. Mais, en tant qu’il interprète la musique par ses images, il repose lui-même au milieu du calme immuable de la contemplation apollinienne, si grande que puisse être autour de lui l’agitation tumultueuse de ce qu’il contemple par l’intermédiaire du médium de la musique. Oui, lorsque, grâce à ce médium, il s’aperçoit lui-même, sa propre image se montre ainsi à lui dans un état d’aspiration inassouvie : son propre vouloir, ses désirs, ses plaintes, son allégresse, sont pour lui des symboles à l’aide desquels il s’interprète la musique. Tel est le phénomène du poète lyrique : en tant que génie apollinien, il interprète la musique par l’image de la Volonté, tandis que lui-même, entièrement affranchi de l’appétence de