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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

phoses leur turbulente et perpétuelle collision, manifestent une force sauvage, étrangère à l’allure sereine de la vision épique. Au point de vue de l’épopée, on ne peut que condamner simplement ce monde d’images disparate et désordonné du lyrisme, et c’est ce que n’ont certainement pas manqué de faire, à l’époque de Terpandre, les solennels rapsodes épiques des fêtes apolliniennes.

Dans la poésie de la chanson populaire, nous voyons donc le langage employer tous ses efforts à imiter la musique, et c’est pour cela qu’avec Archiloque commence pour la poésie une vie nouvelle, opposée, de par ses racines les plus profondes, à la nature de la poésie homérique. Nous avons déterminé ainsi l’unique rapport possible entre la poésie et la musique, la parole et le son : la parole, l’image, l’idée recherchent une expression analogue à la musique et subissent alors la puissance dominatrice de la musique. En ce sens, nous pouvons diviser l’histoire de la langue du peuple grec en deux courants principaux, suivant que le langage s’applique à imiter le monde des apparences et des images, ou celui de la musique. Que l’on veuille bien réfléchir avec attention sur la différence verbale de la couleur, de la construction syntaxique, du matériel de la langue chez Homère et chez Pindare, afin de comprendre l’importance de ce contraste : alors il deviendra clair à chacun, jusqu’à la plus complète évidence, qu’entre Homère et Pindare ont dû