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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

pénètre jusqu’au fond de toutes choses. Représentons-nous maintenant celui-ci lorsqu’il s’aperçoit aussi lui-même parmi ces images, non pas comme génie évocateur, mais comme « sujet » avec toute la cohue de ses passions et de ses aspirations subjectives, dirigées vers un but déterminé qui lui paraît réel ; s’il semble, à présent, que le génie lyrique et sa personnalité subjective, le non-génie lié à lui, soient identiques, et que le premier dise de soi-même ce petit mot « je », cette apparence ne pourra plus nous induire en erreur, comme elle a certainement égaré ceux qui ont considéré le poète lyrique comme un poète subjectif. En réalité, Archiloque, l’homme aux passions ardentes, rempli d’amour et de haine, est seulement une vision du génie qui déjà n’est plus Archiloque, mais bien génie de la nature, et exprime symboliquement sa souffrance primordiale dans cette figure allégorique de l’homme Archiloque ; tandis que cet Archiloque, en tant que créature voulant et désirant subjectivement, ne peut et ne pourra jamais être poète. Mais il n’est pas du tout nécessaire que ce soit ce seul phénomène d’Archiloque homme qui se présente aux regards du poète lyrique comme le reflet apparent de l’Être-éternel, et la tragédie nous montre combien le monde de vision du poète lyrique peut s’éloigner de ce phénomène qui lui est cependant si proche.

Schopenhauer, qui ne s’est pas dissimulé la