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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

conflit père des choses. De cette apparence s’élève alors, comme un parfum d’ambroisie, un monde nouveau d’apparences, comme une vision imperceptible à ceux qui sont prisonniers dans l’apparence première, — une éblouissante vision de l’extase la plus pure dans la béatitude contemplative du regard clairvoyant. Nous avons ici, devant les yeux, incomparablement symbolisés à l’aide de l’art, le monde de beauté apollinien et l’abîme qu’il recouvre, l’épouvantable sagesse de Silène, et nous percevons, par intuition, leur réciproque nécessité. Mais Apollon nous apparaît, de rechef, comme l’image divinisée du principe d’individuation dans lequel seul s’accomplissent les fins éternelles de l’Un-primordial, sa libération par la vision, par l’apparence : avec des gestes sublimes, il nous montre combien tout le monde de la souffrance est nécessaire, pour que par lui l’individu soit poussé à la création de la vision libératrice et qu’alors, abîmé dans la contemplation de cette vision, il demeure calme et plein de sérénité, dans sa fragile embarcation ballottée par les vagues de la pleine mer.

Cette divinisation de l’individuation, si l’on se la représente surtout comme impérative et régulatrice, ne connaît qu’une seule loi, l’individu, c’est-à-dire le maintien des limites de la personnalité, la mesure, au sens hellénique. Apollon, comme divinité éthique, exige des siens la mesure, et, pour