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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

détruire cette illusion, s’écriant : « Ce n’est qu’un rêve ! Je ne veux pas qu’il cesse ! Je veux le rêver encore ! » — si nous devons en conclure qu’il existe une joie intérieure profonde dans la contemplation des images du rêve ; si, d’autre part, pour pouvoir atteindre dans le rêve cette intime félicité contemplative, il nous faut avoir complètement oublié le jour et ses accablantes obsessions : nous pouvons alors, sous l’inspiration d’Apollon interprète des songes, expliquer tous ces phénomènes à peu près comme il suit. De même que, des deux moitiés de la vie, — celle où nous sommes éveillés, et celle du rêve, — la première nous semble incomparablement la plus parfaite, la plus importante, la plus sérieuse, la plus digne d’être vécue, je dirai même la seule vécue, de même aussi, bien que cela puisse ressembler à un paradoxe, je voudrais soutenir que le rêve de nos nuits a une importance égale, à l’égard de cette essence mystérieuse de notre nature, dont nous sommes l’apparence extérieure. En effet, plus je constate dans la nature ces instincts esthétiques tout puissants et la force irrésistible qui les pousse à s’objectiver dans l’apparence, à s’assouvir dans l’apparence libératrice, plus je me sens aussi entraîné à cette hypothèse métaphysique, que l’Être-absolu, l’Un-primordial, en tant qu’accablé d’éternelles misères et rempli de contradictions irréductibles, a besoin pour sa perpétuelle libération, à la fois de l’enchantement de