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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

façonné ; et, aux coups du ciseau de l’artiste des mondes dionysiens, répond le cri des Mystères d’Éleusis : « Vous tombez prosternés à genoux, millions d’êtres ? Monde, pressens-tu le Créateur ?[1] »

2.

Nous avons jusqu’à présent considéré l’esprit apollinien et son contraire, l’esprit dionysien, comme des forces artistiques qui jaillissent du sein de la nature elle-même, sans l’intermédiaire de l’artiste humain, des forces par lesquelles les instincts d’art de la nature s’assouvissent tout d’abord et directement : d’une part, comme le monde d’images du rêve, dont la perfection ne dépend aucunement de la valeur intellectuelle ou de la culture artistique de l’individu, d’autre part, comme une réalité pleine d’ivresse qui, à son tour, ne se préoccupe pas de l’individu, poursuit même l’anéantissement de l’individu et sa dissolution libératrice par un sentiment d’identification mystique. Par rapport à ces phénomènes artistiques immédiats de la nature, tout artiste est un « imitateur », c’est-à-dire soit l’artiste du rêve apollinien, soit l’artiste de l’ivresse dionysienne, ou enfin, — par exemple dans la tragédie grecque, — à la fois l’ar-

  1. Schiller, Hymne à la Joie, qui forme la partie chorale de la Neuvième Symphonie de Beethoven. — N. d. T.