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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

il s’exerce pour la vie. Ce ne sont pas seulement, comme on pourrait croire, les images agréables et plaisantes qu’il retrouve en soi-même avec cette absolue lucidité : le sévère, le sombre, le triste, le sinistre, les obstacles soudains, les railleries du hasard, les attentes angoissées, en un mot toute la Divine Comédie de la vie, avec son Inferno, se déroule aussi devant lui, non pas seulement comme un spectacle de fantômes, d’ombres, — car, ces scènes, il les vit et les souffre, — et cependant sans qu’il puisse écarter tout à fait cette impression fugitive qu’elles ne sont qu’une apparence. Et peut-être quelques-uns se souviendront comme moi de s’être écrié, en se rassurant au milieu des périls et des terreurs d’un rêve : « C’est un rêve ! Je ne veux pas qu’il cesse ! Je veux le rêver encore ! » J’ai entendu dire aussi que certaines personnes possédaient la faculté de prolonger la causalité d’un seul et même rêve pendant trois nuits successives et plus. Ces faits attestent avec évidence que notre nature la plus intime, l’arrière-fond commun de nous tous, trouve dans le rêve un plaisir profond et une joie nécessaire.

De même les Grecs ont représenté sous la figure de leur Apollon ce désir joyeux du rêve : Apollon, en tant que dieu de toutes les facultés créatrices de formes, est en même temps le dieu divinateur. Lui qui, d’après son origine, est « l’apparence » rayonnante, la divinité de la lumière, il règne aussi sur