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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

trouvera éveillé dans la fraîche vigueur du matin d’un sommeil inouï ; alors il tuera des dragons, il anéantira les gnomes perfides et réveillera Brünnhilde — et la lance de Wotan lui-même ne pourra lui barrer le chemin !

Amis, qui croyez à la musique dionysienne, vous savez aussi ce qu’est pour nous la Tragédie. Nous possédons en elle, engendré de nouveau par la musique, le mythe tragique, — vous pouvez mettre en lui tout votre espoir et oublier par lui les pires douleurs ! Mais la douleur suprême est, pour nous tous, — le long avilissement dans lequel le génie allemand, arraché à son foyer et à sa patrie, vécut domestiqué par des gnomes perfides. Vous comprenez ces paroles, — comme enfin vous comprendrez aussi mes espérances.

25.

La musique et le mythe tragique sont, à un égal degré, l’expression de la faculté dionysiaque d’un peuple, et ils sont inséparables. Tous deux émanent d’une sphère de l’art qui est par delà l’apollinienne ; tous deux illuminent une région d’harmonies joyeuses où délicieusement s’éteint la dissonance et s’évanouit l’horrible image du monde ; tous deux jouent avec l’aiguillon du dégoût, confiants dans la puissance infinie de leurs enchantements ; tous deux justifient par ce jeu l’existence « du pire