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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

tragique et la jouissance que procure la dissonance dans la musique ont une origine identique. L’instinct dionysiaque, avec sa joie primordiale en face même de la douleur, est la commune matrice d’où naquirent la musique et le mythe tragique.

Grâce au truchement musical de la dissonance que nous avons appelée à notre aide, le problème complexe de l’effet tragique n’est-il pas notablement éclairci ? Nous comprenons donc enfin ce que cela veut dire, pour la tragédie, de vouloir contempler et en même temps d’aspirer au delà de cette contemplation ; ce qu’il nous faudrait caractériser, à l’égard de l’emploi artistique de la dissonance en disant que nous voulons entendre et qu’en même temps nous aspirons au delà de ce que nous entendons. Cette aspiration vers l’infini, ce coup d’aile du désir, au moment où nous ressentons la plus haute joie de la claire perception de la réalité, nous rappellent que, dans ces deux états, nous devons reconnaître un phénomène dionysien qui, toujours et sans cesse, nous révèle l’assouvissement d’une joie primordiale, dans le jeu de créer et de détruire le monde individuel ; à peu près comme Héraclite le Ténébreux comparait la force créatrice de l’univers au jeu d’un enfant qui s’amuse à poser des pierres çà et là, à faire des tas de sable et à les renverser.

Pour apprécier exactement la faculté dionysiaque d’un peuple, il ne faut donc pas penser seule-