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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

cela à un degré inaccessible pour tout autre art apollinien. Et il nous fallut alors reconnaître ici, où l’esprit de la musique donne, en quelque sorte, des ailes à l’art apollinien et l’emporte dans son essor, l’apogée de la puissance de cet art, et, dans cette alliance fraternelle d’Apollon et de Dionysos, l’aboutissement suprême des fins artistiques tant apolliniennes que dionysiennes.

Certes, à l’aide de cette clarté intérieure même, due à la musique, l’image lumineuse apollinienne n’arrivait pas à produire l’effet caractéristique de manifestations moindres de l’art apollinien. Ce que peuvent l’épopée ou le marbre animé, — forcer le regard contemplatif à une quiétude extatique en face du monde de l’individuation, — il lui fut impossible de l’atteindre, en dépit d’une vie et d’une netteté supérieures. Nous pûmes contempler le drame et pénétrer d’un œil clairvoyant jusqu’au dedans du monde agité de ses motifs, — et cependant il nous semblait ne voir se dérouler devant nous qu’un tableau symbolique, dont nous croyions presque deviner le sens le plus profond, et que nous souhaitions écarter comme un rideau, pour apercevoir au delà l’image originelle, le spectacle primordial. L’absolue clarté du tableau ne nous suffisait pas ; car celui-ci paraissait aussi bien dissimuler que révéler quelque chose ; et tandis que, par sa révélation symbolique, il semblait provoquer à déchirer le voile, à démasquer l’au-delà mystérieux