gouvernent chacune un domaine particulier de l’art, et la tragédie grecque nous a amenés à pressentir les effets de leur rencontre et de leur stimulation réciproque. Le déclin de la tragédie grecque nous apparut comme la suite fatale d’une remarquable disjonction de ces deux instincts artistiques primordiaux. À cet état de choses correspondait une dégénération et une métamorphose du caractère national grec, qui nous obligea à de graves réflexions en nous montrant combien l’art et le peuple, le mythe et les mœurs, la tragédie et l’État, sont liés de toute nécessité et étroitement entremêlés dans leurs fondements. La mort de la tragédie fut aussi la fin du mythe. Jusqu’alors les Grecs étaient involontairement amenés, contraints, à rattacher à leurs mythes tous les événements de leur existence et même à ne concevoir la vie qu’à l’aide de ces rapports, par quoi le présent le plus immédiat devait se présenter aussitôt à eux sub specie æterni et, en un certain sens, en dehors du temps. Mais, à ce torrent de l’extemporané, aussi bien l’État que l’art s’abreuvait d’illusion, pour y trouver le repos des soucis et des passions de l’instant. Et la valeur d’un peuple, — comme d’ailleurs aussi celle d’un homme, — se mesure précisément à cette seule faculté de pouvoir marquer du sceau de l’éternité les événements de son existence ; car il est ainsi, en quelque sorte, désécularisé et manifeste sa conviction profonde et inconsciente de la relativité du
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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE