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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

demeure éternellement affamé, creusant et fouillant pour trouver quelques racines, lui fallût-il les découvrir en bouleversant les antiquités les plus lointaines. Que signifie ce monstrueux besoin historique de l’inquiète culture moderne, cette compilation d’autres innombrables cultures, ce désir dévorant de connaître, sinon la disparition du mythe, la perte de la patrie mythique, du giron maternel mythique ? Que l’on dise si les contorsions sinistres et fébriles de cette culture sont autre chose que le geste avide de l’affamé se jetant sur de la nourriture, — et qui voudrait apporter encore quelque chose à une telle culture, irrassasiable quoi qu’elle absorbe, et transformant dès qu’elle y touche les aliments les plus substantiels et les plus salutaires en « Histoire et Critique » ?

Il faudrait cruellement désespérer de notre âme allemande si le génie de notre peuple était désormais aussi indissolublement inféodé à sa culture, aussi identifié à elle que nous pouvons l’observer avec horreur dans la civilisation française ; et ce qui fut longtemps le grand privilège de la France et la cause de son extraordinaire ascendant, justement cette identification du peuple et de la culture pourrait nous forcer, au spectacle de ses conséquences, à estimer comme un bienfait que cette culture si sujette à caution, qui est la nôtre, n’ait jusqu’à présent rien de commun avec le noble fonds de notre caractère national. Tout notre plus ardent