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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

ter la vraisemblance d’une existence réelle du mythe en quelque moment du passé. Mais, sans le mythe, toute culture est dépossédée de sa force naturelle, saine et créatrice ; seul un horizon constellé de mythes parachève l’unité d’une époque entière de culture. Le seul mythe peut préserver de l’incohérence d’une activité sans but les facultés de l’imagination et les vertus du rêve apollinien. Les images du mythe doivent être les esprits tutélaires invisibles et omniprésents, propices au développement de l’âme adolescente, et dont les signes annoncent et expliquent à l’homme fait sa vie et ses combats ; et l’État lui-même ne connaît pas de loi non écrite plus puissante que le fondement mythique qui atteste sa connexité avec la religion et ses origines dans le mythe.

Que l’on considère à présent l’homme abstrait, privé de la lumière du mythe, l’éducation abstraite, la morale abstraite, le droit abstrait, l’État abstrait ; qu’on se représente le déchaînement confus de l’imagination artistique non maîtrisée par l’ascendant d’un mythe familier ; qu’on imagine une culture n’ayant pas de foyer originel fixe et sacré, mais condamnée, au contraire, à épuiser toutes les possibilités et à se nourrir péniblement de toutes les cultures, — c’est là le présent ; c’est le résultat de cet esprit socratique qui s’est voué à la destruction du mythe. Et, au milieu de tous les restes du passé, l’homme dépourvu de mythes