rait pouvoir chasser cette apparition de mascarade qu’est l’opéra simplement par un grand cri, comme on fait pour un spectre ou un revenant. Celui qui veut détruire l’opéra doit engager la lutte contre cette sérénité alexandrine, qui symbolise si naïvement en lui ses théories favorites, et dont il est, en réalité, l’adéquate forme artistique. Mais qu’espérer pour l’art lui-même des effets d’une forme artistique dont les principes générateurs ne sont pas d’ordre esthétique, qui s’est, au contraire, échappée d’une sphère mi-morale, pour s’introduire à la dérobée dans le domaine de l’art, et ne peut dissimuler cette origine hybride que de temps en temps et par hasard ? De quels sucs se nourrit cet organisme parasite qu’est l’opéra, si ce n’est de la sève de l’art véritable ? Ne sera-t-il pas à prévoir que, sous l’influence de ses séductions idylliques, de ses captieux artifices alexandrins, la tâche la plus haute et la plus vraiment sérieuse de l’art — arracher le regard à l’horreur des ténèbres et épargner au « sujet », par le baume salutaire de l’apparence, les affres des convulsions de la Volonté — en arrive à dégénérer jusqu’à n’être plus qu’une occasion de plaisir, un moyen de distractions frivole ? Qu’adviendra-t-il des éternelles vérités dionysiaque et apollinienne, avec cet amalgame de styles qui est l’essence du stilo rappresentativo ? où la musique est considérée comme la servante et le texte comme le maître, où la musique est comparée au corps et la parole à
Page:Nietzsche - L’Origine de la Tragédie.djvu/181
Cette page a été validée par deux contributeurs.
177
L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE