Page:Nietzsche - L’Origine de la Tragédie.djvu/175

Cette page a été validée par deux contributeurs.
171
L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

plus superficielle, comme une chose sans exemple dans le domaine de la nature et de l’expérience. Mais tel n’était pas le sentiment des inventeurs du récitatif ; bien plus, ils se figuraient même, et avec eux tous leurs contemporains, avoir retrouvé dans ce stilo rappresentativo le secret de la musique antique et l’explication de l’ascendant inouï d’un Orphée, d’un Amphion, voire de la tragédie grecque. Le nouveau style fut considéré comme une résurrection de la musique la plus puissamment expressive, celle des anciens Grecs. Grâce à l’opinion unanimement acceptée, à la conception toute populaire que l’on s’était formée du monde homérique, comme étant le monde primitif, originel, on put même se laisser aller au rêve d’un retour aux commencements paradisiaques de l’humanité, où la musique aussi devait nécessairement avoir possédé cette pureté, cette puissance et cette innocence que, dans leurs pastorales, les poètes savaient évoquer d’une manière si touchante. Nous pénétrons ici jusqu’au plus profond du principe générateur de cette forme artistique toute spécialement moderne, l’opéra : une impérieuse aspiration se crée à soi-même un art, mais une aspiration d’ordre inesthétique, l’attrait passionné pour l’idylle, la croyance à l’existence préhistorique d’un être humain artiste et bon. Le récitatif fut regardé comme la langue restaurée de cet homme primitif, l’opéra comme la patrie retrouvée de cette entité idyllique, de cette nature