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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

amenât l’homme tragique de cette civilisation à souhaiter un art nouveau, l’art de la consolation métaphysique, la tragédie, telle une Hélène à laquelle il avait droit, et à s’écrier avec Faust[1] :

Et ne devais-je pas, avec une violence passionnée,
Faire naître à la vie la forme la plus divine ?

La culture socratique ne tient plus le sceptre de son infaillibilité que d’une main tremblante, ébranlée qu’elle est de deux côtés à la fois, par la crainte de ses propres conséquences qu’elle commence à pressentir peu à peu, et parce qu’elle-même n’a plus, dans la valeur éternelle de ses fondements, la confiance naïve de jadis ; et c’est alors un triste spectacle que celui de la danse de sa pensée, toujours en quête de formes nouvelles pour les enlacer avec ardeur, et qui les abandonne soudain en frissonnant, comme Méphistophélès les Lamies séductrices. C’est bien là l’indice de cette « faillite », dont chacun parle couramment comme du mal organique originel de la culture moderne. Effrayé et désappointé des conséquences de son système, l’homme théorique n’ose plus s’aventurer dans la débâcle du terrible torrent de glace de l’existence : anxieux et indécis, il court çà et là sur le rivage. Il ne veut plus rien avoir tout à fait, rien posséder tout entier avec aussi la naturelle cruauté des choses. L’optimisme l’a énervé à ce point.

  1. Gœthe, Faust, deuxième partie, premier acte. — H. A.