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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

l’illusion sans bornes de l’optimisme ! Il ne faut plus s’épouvanter si les fruits de cet optimisme mûrissent, si la société, corrodée jusqu’à ses couches les plus basses par l’acide d’une telle culture, tremble peu à peu la fièvre de l’orgueil et des appétits, si la foi au bonheur terrestre de tous, si la croyance à la possibilité d’une semblable civilisation scientifique, se transforme peu à peu en une volonté menaçante, qui exige ce bonheur terrestre alexandrin et invoque l’intervention d’un deus ex machina « à l’Euripide » ! Il faut remarquer ceci : pour pouvoir durer, la civilisation alexandrine a besoin d’un état d’esclavage, d’une classe serve, mais, dans sa conception optimiste de l’existence, elle dénie la nécessité de cet état ; aussi, lorsque l’effet est usé de ses belles paroles trompeuses et lénitives sur la « dignité de l’homme » et la « dignité du travail », elle s’achemine peu à peu vers un épouvantable anéantissement. Rien n’est plus terrible qu’un barbare peuple d’esclaves, qui a appris à regarder son existence comme une injustice et se prépare à en tirer vengeance non seulement pour soi-même, mais encore pour toutes les générations à venir. Contre la menace d’un tel assaut, qui oserait, en toute assurance, appeler à l’aide nos religions blafardes et épuisées qui, même dans leurs fondements, ont dégénéré jusqu’à devenir des religions savantes ; au point que le mythe, cette condition préalable nécessaire de toute religion, est