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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

ce réconfort métaphysique ? Aussi, à la dissonance tragique, on chercha une convenable résolution terrestre ; le héros, après avoir été suffisamment torturé par le sort, obtenait par un beau mariage, par des hommages divins, une récompense bien méritée. Le héros était devenu un gladiateur auquel, après qu’il était congrûment écorché et couvert de blessures, on accordait éventuellement la liberté. Le deus ex machina a remplacé la consolation métaphysique. Je ne veux pas dire que la conception tragique du monde ait été universellement et définitivement anéantie par l’effort de l’esprit antidionysien ; nous savons seulement qu’elle dut s’enfuir du domaine de l’art, se réfugier, pour ainsi dire, dans le monde des ténèbres et dégénérer en culte secret. Mais, sur toute la surface de l’Hellénisme, se déchaîna le souffle dévastateur de cet esprit qui se manifeste sous cette forme de la « sérénité grecque » que j’ai définie comme l’expression d’un bonheur de vivre sénile et infécond. Cette sérénité est la parodie de l’admirable « naïveté » des anciens Grecs qui doit être regardée, d’après le caractère que nous lui avons reconnu, comme la fleur de la culture apollinienne émergeant épanouie du fond d’un sombre abîme, comme la victoire remportée par la Volonté hellénique, grâce à sa vision de beauté, sur le mal et la philosophie du mal. L’aspect le plus noble de l’autre forme de la « sérénité grecque », l’alexan-