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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

de l’esprit antidionysien lorsqu’il réussit, dans le nouveau dithyrambe, à rendre la musique étrangère à sa propre nature et qu’il l’eût réduite à être l’esclave de l’apparence. Euripide, qui, dans un sens plus élevé, doit être défini comme une nature absolument antimusicale, est, précisément pour cette raison, un partisan enthousiaste de la nouvelle musique dithyrambique, et il en prodigue avec une générosité de voleur tous les effets et toutes les manières.

Nous reconnaissons, d’autre part, l’action de cet esprit antidionysien ennemi du mythe, à l’importance croissante des raffinements psychologiques et de la peinture des caractères dans la tragédie de Sophocle. Le caractère ne doit plus se laisser généraliser, amplifier en un type éternel, il doit au contraire agir individuellement par des traits accessoires et des nuances artificielles, par la plus minutieuse précision de toutes les lignes, en sorte que le spectateur ne reçoive plus l’impression du mythe, mais bien celle d’une vérité naturelle frappante et de la puissance d’imitation de l’artiste. Là aussi, nous retrouvons la victoire de l’apparence sur l’universel, et le plaisir ressenti à une concrète et quasi anatomique préparation ; nous respirons désormais dans l’atmosphère d’un monde théorique qui prise la connaissance scientifique au-dessus de l’expression artistique d’une loi générale. La tendance au caractéristique progresse rapide-