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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

ne trouve, en aucune façon, dans le discours son objectivation adéquate. La succession des scènes et le spectacle des tableaux proclament une sagesse plus profonde que celle qu’il est possible au poète lui-même d’atteindre par le moyen des mots et des idées. Un semblable phénomène peut être observé aussi chez Shakespeare, dont l’Hamlet, par exemple, dans une acception analogue, parle plus superficiellement qu’il n’agit, de sorte que c’est non pas des paroles, mais de la contemplation approfondie de tout l’ensemble que se déduit cette philosophie d’Hamlet précédemment exposée. En ce qui concerne la tragédie grecque, que nous connaissons en réalité uniquement sous la forme de drame parlé, j’ai même fait remarquer que cette désharmonie entre le mythe et le verbe pourrait nous égarer aisément jusqu’à diminuer dans notre esprit la signification et l’importance de la tragédie, et à lui attribuer ainsi une portée plus superficielle que celle qu’elle dut avoir d’après le témoignage des anciens : car avec quelle facilité n’oublie-t-on pas que la plus haute idéalité et sublimation du mythe, refusée au poète, lui était accessible à tout instant, en tant que musicien créateur ! Pour nous, certes, il est presque nécessaire de reconstituer savamment la puissance prépondérante de l’action musicale, pour ressentir quelque chose de ce réconfort suprême qui doit être le propre de toute vraie tragédie. Mais, à la place