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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

pétence et la joie effrénées à l’existence ; la lutte, la torture, l’anéantissement des apparences, nous apparaissent désormais comme nécessaires, en face de l’intempérante profusion d’innombrables formes de vie qui se pressent et se heurtent, en présence de la fécondité surabondante de l’universelle Volonté. L’aiguillon furieux de ces tourments vient nous blesser au moment même où nous nous sommes, en quelque sorte, identifiés à l’incommensurable joie primordiale à l’existence, où nous pressentons, dans l’extase dionysienne, l’immuabilité et l’éternité de cette joie. En dépit de l’effroi et de la pitié, nous goûtons la félicité de vivre, non pas en tant qu’individus, mais en tant que la vie une, totale, confondus et absorbés dans sa joie créatrice.

L’histoire des origines de la tragédie grecque nous révèle maintenant, avec une lumineuse précision, comment l’œuvre d’art tragique des Grecs naquit réellement du génie de la musique ; et, à l’aide de cette pensée, nous croyons avoir exactement interprété, pour la première fois, le sens primitif et si singulier du chœur. Mais nous devons convenir, en même temps, que la portée du mythe tragique, telle que nous l’avons établie, ne fut jamais perçue, avec une netteté manifeste, des poètes, et moins encore des philosophes, de la Grèce ; le langage de leurs héros est, à certains égards, plus superficiel que leurs actes ; le mythe